Une semaine de jeûne thérapeutique: l’expérience de Thierry
A la suite d’un cancer de la vessie, Thierry a dû revoir son hygiène de vie d’une part à cause des besoins de vidange à intervalles réguliers et de l’autre à cause de la fatigue engendrée par le cancer et la rémission. Cette fatigue, Thierry ne l’avait pas planifiée ; son entourage non plus. Elle fait partie de ces effets secondaires qui n’en sont pas vraiment et qui pourtant impacte grandement notre quotidien. Thierry est chef d’entreprise, cela lui a permis de réduire son temps de travail et de déléguer une partie de ses affaires mais être employeur est aussi source de stress. Or, fatigue et stress ne font pas bon ménage, vous commencez à le savoir.
Un jour, Thierry annonça à sa famille qu’il allait partir pour une semaine de jeûne et de randonnée pour faire un restart. Thierry n’est pas un féru d’ésotérisme ou de médecine alternative mais il a décidé de s’accorder ce temps pour se faire face et être seul. C’est cette démarche qui a mené à cette conversation avec Yannick… Peu de questions ont encadré cet entretien, c’est pourquoi nous vous le proposons sous forme de récit, parfois ponctué par une réflexion ou une question de Yannick.
Thierry : Parmi toutes les personnes touchées par le cancer que j’ai pu rencontrer, la chose la plus compliquée à gérer c’est la fatigue de l’après et ceci, quel que soit le cancer. Et je trouve cela dingue. On peut facilement comprendre une fatigue occasionnée par une chimio et par tous les produits que l’on t’injecte mais la fatigue de la rémission est plus compliquée à gérer. Elle demande de revoir son mode de vie, de modifier ses habitudes ainsi que celles de son entourage. Par exemple, je devais me lever très régulièrement durant la nuit pour me vider et éviter les douleurs. J’ai mis du temps à trouver un rythme nocturne et mes fréquents réveils ont pu susciter des craintes ou des inquiétudes chez mon épouse. Ces nuits hachées ne sont pas réparatrices, ce qui implique des pauses durant la journée. Il y a des jours où ça va mieux et d’autres où tu as couru toute la matinée et répondu à une multitude de téléphones qui t’ont usé et qui t’obligent à te reposer l’après-midi.
Yannick : tu constates donc vraiment un impact du stress sur ta fatigue ?
T : Évidemment. Le stress c’est peut-être la cause de la maladie, du moins au départ. Tu sais, quand j’ai pu me libérer du boulot, ça faisait des années que j’avais la boule au ventre au sens propre du terme. Le jour où ça a passé, ça m’a libéré. C’était certes pendant la maladie, donc j’avais toujours cette préoccupation-là mais le souci du boulot en moins m’a permis de concentrer mon énergie sur moi pour me bagarrer contre la maladie. C’est à ce moment-là que j’ai compris l’impact du stress… trop tard peut-être mais bon, on est fait comme ça : on apprend à bosser encore et toujours parce qu’il faut faire, on n’a pas le choix quand on est indépendant, entrepreneur ou employeur.
Y : Ce que tu dis m’interpelle vraiment et me conforte dans l’idée qu’il est essentiel de mettre des choses en place, des protocoles pour apprendre à gérer son stress même en plein boom afin de se préserver sur le long terme. On peut travailler plus durant des périodes tout en gérant ce stress.
T : Ça fait écho à tous ces cours ou toutes ces formations sur la gestion du temps et du travail. Souvent, les coachs nous poussent à nous fixer des rendez-vous avec nous-mêmes. J’ai un ami aussi entrepreneur qui a pris l’habitude de quitter son bureau et de dire à sa secrétaire : « Je pars aux soins intensifs », ce qui signifie qu’il ne sera pas atteignable jusqu'à ce qu’il soit de retour une ou deux heures plus tard. Ça lui permet de reprendre le job après avoir fait un break et d’être de nouveau frais.
Quand je vois la façon de travailler des responsables de PME, je me dis que nous fonçons tous dans le mur et qu’il serait bénéfique pour tout le monde d’avoir un moment de pause chaque semaine où chacun serait libre de faire ce qu’il veut : rentrer faire une sieste, jardiner, faire les courses, passer du temps avec sa famille, etc. Après je suis réaliste et je saisis ma chance : je suis entrepreneur mais je suis aussi entouré ; la boîte ne dépend pas que de moi. Je ne peux alors m’empêcher de penser aux personnes qui doivent gérer un business seul, là ça devient beaucoup plus compliqué de lâcher prise.
J’ai aussi de la chance au niveau familial : ma femme et mes enfants ont été là du début à la fin. On a tout fait ensemble : les rendez-vous chez le médecin, chez l’oncologue, à l’hôpital, etc. C’était un soutien émotionnel mais qui m’a aussi permis de mieux comprendre la maladie, car nous étions plusieurs face aux médecins et aux diagnostics. Ça m’a permis d’être plus positif, ce qui m’a donné plus de force pour combattre la maladie, stimuler mon système immunitaire et ne pas sombrer dans le pessimisme. J’ai toujours essayé d’appliquer à 100% les conseils des spécialistes pour ne pas leur mettre de bâtons dans les roues. Il faut prendre tout ce qu’il peut t’aider et t’investir dans ce combat. Tu n’es pas obligé de croire en toutes les médecines alternatives mais elles peuvent t’apporter de l’espoir et ce n’est pas négligeable. Lorsque l’on est en rémission, l’important n’est pas de savoir quelle méthode ou quel remède nous a soignés, la seule chose qui compte c’est que le cancer a été vaincu. Malheureusement, il faut trop souvent avoir été confronté à un souci de santé pour comprendre l’importance de l’hygiène de vie. Agir en prévention, c’est toujours plus compliqué parce qu’on ne sait pas vraiment si ça marche ou non puisqu'on n’est pas fragilisé ou malade.
Y : D'où l’intérêt de ce genre d’article qui permet l’identification : ton discours sera peut-être plus impactant que le mien sur certaines personnes, parce que je n’ai que la trentaine et que je n’ai pas traversé ce que toi tu as traversé…
Y : En tout cas, je te remercie déjà pour tout cet échange et je te propose de passer à présent à la question du jeûne. Comment as-tu découvert cette pratique ?
T : C’est venu un peu par hasard de la part de mon ostéopathe qui était au courant des soucis que j’avais eus. Il avait vu un documentaire sur le jeûne à la télévision qui l’avait fait penser à moi. J’ai regardé ce documentaire mais l’ambiance très SPA luxueux ne me plaisait pas du tout et encore moins l’idée de payer une très grosse somme pour une semaine dans un hôtel sans nourriture. J’ai quand même décidé de faire d’autres recherches et je suis tombé sur le centre Interlude bien-être qui propose des offres du type « jeûne et bien-être » dans le Val-d’Illiez. Le prix était plus raisonnable et les thèmes me parlaient plus, notamment la formule « jeûne et randonnée » où l’on est accompagné durant une semaine par une naturopathe, une professeure de yoga en formation et des guides de randonnée. J’ai tenté le coup, j’ai appelé le responsable, je lui ai expliqué mon cas (notamment mon besoin d’être dans une chambre individuelle proche des WC) et j’ai signé pour une semaine au mois de mai 2018.
C’était aussi une démarche un peu égoïste, car ça représentait la possibilité d’avoir une semaine pour moi tout seul. J’aurais pu partir en couple mais ça me semblait difficile et source de tensions. J’aurais aussi pu le faire à la maison mais il y aurait eu trop de tentations et les soucis du quotidien et de l’entretien de la maison m’auraient trop facilement accaparé, ce qui n’était pas le but recherché. Plus qu’un jeûne, c’était un ressourcement, un moyen de récupérer de l’énergie comme j’ai pu en tester d’autres tels que l’hypnose ou l’homéopathie.
Le jeûne dans ce centre est cadré et préparé : une semaine avant, j’ai reçu un programme de « descente alimentaire » que j’ai suivi du mieux possible. Ça n’a pas été trop difficile, car je ne suis pas un gros mangeur de base et qu’il m’arrive souvent de ne presque rien manger durant une journée, surtout lorsque ma femme ou mes enfants ne sont pas là. Je n’ai jamais vraiment eu la sensation de « crever la dalle » ; la descente alimentaire n’était donc pas trop difficile. Le centre préconise également une hydrothérapie du côlon (ou irrigation du côlon) afin d’éliminer certaines particules qui stimuleraient la sensation de faim. J’ai arrêté de me nourrir le vendredi soir et je me suis présenté au centre le samedi.
Y : Est-ce qu’il y a un protocole à suivre durant cette semaine en centre ?
T : La naturopathe est présente et nous encadre tout au long du séjour qui propose un jeûne hydrique durant lequel nous pouvons boire de l’eau et des tisanes (préparées par ses soins) à volonté tout au long de la journée. Le matin, vers 8h30, nous avons le droit à un jus de fruit qu’elle a préparé en fonction de nos besoins et pour parer les carences éventuelles. Le soir, elle nous prépare un bouillon clair. Le jeûne se termine le vendredi à midi où l’on partage un repas mais où l’on mange peu, non pas par privation mais parce qu’on ne ressent pas le besoin de manger plus. Arrive ensuite la reprise alimentaire qui correspond un peu à l’envers de la descente alimentaire. Personnellement, un weekend festif m’attendait (un anniversaire le samedi, une confirmation le dimanche). J’ai profité des repas sans abuser des quantités et sans avoir de problèmes digestifs. Comme je l’ai déjà dit, je suis, de base, un petit mangeur. Je n’ai pas vécu le jeûne comme un choc trop important pour mon organisme.
Pendant cette semaine de jeûne, la naturopathe a beaucoup parlé d’alimentation et de nutrition mais je dois avouer que j’y ai assisté plus par politesse que par intérêt… Il y avait aussi des animations musicales ou des conteries le soir. Deux guides de la région étaient également présentes pour nous proposer plusieurs types de balades et pour nous raconter l’histoire de la région. C’était un peu le Club Med en fait : nous avions un large choix d’activités mais nous n’étions forcés à rien. Si nous voulions dormir pendant une semaine, nous pouvions le faire. Nous avions également accès aux bains qui se trouvaient à un kilomètre et demi du chalet et nous pouvions payer des suppléments pour profiter des massages. La naturopathe « exigeait » simplement 2 points de contact journaliers afin de vérifier que nous vivions bien le jeûne.
En une semaine, j’ai fait un peu moins de 100 kilomètres de marche sans manger, j’allais à la piscine et je profitais de me reposer. J’étais étonné de pouvoir faire cela sans souffrir alors que lorsque je partais avec mon épouse pour une randonnée de 3 heures, nous emportions des bananes, des barres, etc. bref, on s’encombrait de choses que nous devions porter alors que là j’avais simplement une gourde d’eau, mon téléphone et un mouchoir.
Sur le groupe que nous étions, une seule personne a quitté le centre en cours de route parce que ses enfants lui manquaient trop. Mais personne n’a semblé avoir souffert de la faim ni n’a pété les plombs. Il y avait deux personnes fumeuses et il ne leur était pas interdit de fumer. Certaines personnes venaient pour perdre du poids mais la naturopathe les a averties que ce qu’elles perdraient pendant cette semaine, elles allaient certainement le reprendre par la suite. Pour moi, ce n’était pas le but. Je voulais jeûner pour essayer de me ressourcer et de gagner de l’énergie. La mesure d’énergie n’est pas mécaniquement mesurable mais selon mon épouse, le jeûne dans ce centre est ce qui m’a le plus donné de « peps ». Combien de temps ça dure, est-ce que je l’ai toujours ? Je n’en sais rien et je pense que c’est très difficile de le mesurer.
Y : Mais finalement, est-ce que c’est nécessaire d’apporter un chiffre pour prouver que ça marche ? Est-ce que ton propre ressenti ne devrait pas te suffire ?
T : C’est vrai. C’est une expérience difficilement quantifiable et qu’il est aussi compliqué de suggérer aux autres, car on ne peut pas savoir si ça nous convient avant de l’avoir soi-même expérimenté.
Y : Le fait de pouvoir le faire à ta façon montre que cette pratique est accessible à tout le monde, même à ceux qui ne sont pas férus de théorie et de naturopathie. On peut le faire juste pour soi sans en souffrir.
T : C’est vrai. J’étais un peu à part dans le groupe, j’étais d’ailleurs le seul homme. Les femmes parlaient beaucoup de leur façon de s’alimenter dans le quotidien. C’était la grosse discussion des premiers jours. Les profils étaient variés mais toutes étaient passionnées par la nutrition, ce qui n’était pas mon cas. J’ai participé à tous les ateliers par respect pour les organisateurs et pour m’intégrer au groupe. C’était intéressant mais ce n’est pas mon truc. Si je le refais, je ne pense pas que je réécouterai les formations. J’en profiterai pour passer du temps avec moi-même et me promener encore plus.
Y : Merci beaucoup Thierry. Ton témoignage apporte un éclairage particulier sur le jeûne, celui que je qualifierais de thérapeutique. Je pense vraiment que celui-ci est riche en vertus mais qu’il doit se faire dans un cadre particulier, loin des soucis du quotidien.
T : Oui et je pense que l’une des choses qui fait que le jeûne se passe bien, c’est que l’on est libre d’arrêter quand on le souhaite. J’ai été curieux et j’ai demandé aux organisateurs s’ils avaient eu des personnes qui avaient triché et ils m’ont dit que c’était arrivé une seule fois : une personne avait une réserve de chips cachée dans sa chambre et ils lui ont demandé de partir, car ce n’était pas correct vis-à-vis des autres participants.
Y : En Nouvelle-Zélande, j’ai rencontré un Allemand qui voyageait seul durant six semaines chaque cinq ans. La demande venait de sa propre famille, car elle avait constaté que c’était nécessaire pour lui de tout quitter – famille et travail – durant un laps de temps pour se ressourcer. Ta démarche est en fin de compte assez similaire : on a parfois besoin de partir seul pour se retrouver et cela ne remet pas du tout en compte l’amour que l’on porte pour sa famille.
T : Oui. D'ailleurs le gérant m’a dit que peu de couples venaient ensemble pour une semaine de jeûne. Beaucoup viennent séparément : l’un pour une semaine, l’autre pour une autre. Cela permet de partager l’expérience tout en la vivant pour soi. Il y a aussi des personnes qui viennent entre amis, c’est sans doute plus facile à gérer. L’avantage en y allant seul, c’est que l’on construit sa semaine comme on le veut du début à la fin. Le cadre y fait aussi beaucoup : on est dans un chalet proche d’une ferme, pas dans un grand hôtel type thalasso. C’est un peu rustique et je ne louerai pas un chalet comme ça pour des vacances mais ça se prêtait très bien à l’expérience.
Y : Et bien Thierry, je te remercie vraiment pour ce partage d’expériences.